Se lier avec l’héritage de guerre d’un père
Deux filles réfléchissent sur la vie fructueuse mais traumatique de leur cher père après la guerre
Harry Varnham avait tout juste 17 ans lorsqu’il s’est engagé pour la Première Guerre Mondiale, en mentant sur son âge, afin de joindre ce qui semblait être une opportunité d’aventure pour un adolescent ennuyé d’Akatarewa, près de Upper Hutt.
Ce qui l’attendait en réalité changera sa vie, jusqu’à son terme.
Après avoir enduré la dureté de la guerre, incluant le fait d’avoir passé trois mois à l’hôpital après avoir été blessé par balle à la jambe gauche, Harry se trouve sur le front lors de la libération de la ville française de Le Quesnoy le 4 novembre 1918.
Il a fait partie des courageux soldats Néo-Zélandais ayant libéré 1600 civils français de l’occupation allemande, sans aucune perte civile.

Si cette opération héroïque a sauvé un nombre incalculable de vies, cela coûta en revanche cher à Harry qui se retrouva blessé de nouveau, cette fois grièvement, ce qui a conduit à une amputation de sa jambe droite dans un hôpital de campagne.
“Il a été blessé par un obus dans le feu de l’action”, raconte sa fille Sally. “Il a été opéré dans un hôpital de campagne près de Le Quesnoy, dans le but de le maintenir en vie, puis a été amputé de sa jambe en décembre, quand il était encore en France.”
“Les circonstances ont été assez horribles pour lui et l’ont beaucoup hanté. Je crois qu’ils étaient tous dans les bois et les Allemands les abattaient, ils ont dû être ébouriffés,” ajoute sa fille aînée, Mary, éditrice de livres basée à Wellington.
Début 2025, Sally, professeure de droit et éducatrice, a effectué un pèlerinage à Le Quesnoy et au Musée Néo-Zélandais de la Libération – Te Arawhata, afin d’en apprendre davantage sur l’expérience vécue par son père durant la guerre et le traumatisme qu’il a ramené avec lui.
“C’est important pour ma sœur et moi que l’histoire de notre père se perpétue”, dit-elle. L’exposition du musée réalisée par Wētā Workshop raconte l’histoire des soldats Kiwi ayant libéré la ville française de quatre ans d’occupation allemande le 4 novembre 1918 durant la Première Guerre Mondiale.
Te Arawhata est un lieu où tout le monde peut venir se remémorer les personnes ayant servi leur pays durant la Première Guerre Mondiale.
2025 marquant le 110ème anniversaire du débarquement à l’Anzac Cove, le 25 avril, c’est un moment spécifiquement important pour commémorer tous les soldats Néo-Zélandais et Australiens.


Elle a été profondément touchée par le défilement sur le Tableau d’Honneur, listant les noms de tous les Néo-Zélandais ayant servi à l’étranger durant la Première Guerre Mondiale.
“Ce fut très émouvant de juste être là et de voir le nom de son père sur la liste, située sur le mur du musée”, dit Sally. “C’est devenu en quelque sorte réel, au lieu d’être de l’autre côté du globe, de penser à ce qui s’est passé autrefois.”
La guerre venue à la maison
A peine quelques jours après la libération de Le Quesnoy, la guerre se termine. Ce que Harry est devenu pour les quelques prochaines années, ses filles ne le savent presque pas. Sally sait qu’il est resté en Angleterre pendant un moment avant de se séparer de sa première femme, cependant les détails ont été perdus au fur et à mesure du temps.
Après un moment, il est retourné en Nouvelle-Zélande, est devenu dentiste, et plus tard, dans sa cinquantaine, maître de conférences à l’Université d’Otago où il a rencontré la mère de Sally et Mary, Marion Falloon.
Si Harry a survécu à la guerre, il était loin d’être indemne. Ses blessures physiques changèrent sa vie, surtout au vu des limitations de l’époque vis-à-vis des prothèses.
“Pour nous, il était très handicapé car en ces temps-là, les jambes artificielles étaient très inconfortables, il ne pouvait donc pas faire autant que les autres pères le pouvaient,” dit Sally.
“Mais je me souviens descendre sur la plage avec papa sur ses béquilles et les attraper en partant nager dans la mer, donc il était plutôt actif en réalité, si on le considère ainsi.”
Il souffrait aussi d’un sévère syndrome post-traumatique, qu’il l’a affecté durant toute sa vie.
“Il avait une vie fructueuse… mais il avait sans-cesse ce sévère stress post-traumatique qui était une part importante de notre enfance,” se rappelle Sally.

Au cours de sa vie, Harry passa fréquemment des périods du temp à l’hôpital de Wellington, souffrant d’une sévère dépression. Cela continua jusqu’à ce qu’il s’ôtât la vie tragiquement à 73 ans, quand Sally venait d’en avoir 20.
“Il s’est définitivement senti aliéné quand il est rentré en Nouvelle-Zélande,” dit Sally. “Je me souviens de lui, dire qu’il sentait que les gens ne comprenaient pas ce que la guerre était, et qu’il voulait juste retourner en Grande-Bretagne où les gens avaient plus conscience de ce qui s’était passé. Il se sentait mieux là-bas.”
L’Anzac Day était particulièrement difficile pour la famille. Sally se rappelle qu’auparavant, on n’assistait pas peu aux Dawn Parades comparé à aujourd’hui.
“Papa allait à la Dawn Parade tous les ans le jour de l’Anzac, et revenait “bourré” après avoir bu quelques verres à la RSA et était assez triste car personne ne venait aux commémorations avant.”
“Je pense qu’il serait tellement surpris par le nombre de personnes assistant aux parades désormais. Si seulement il pouvait le voir. Ça l’aurait émerveillé car ce gros truc qu’il ressentait est que ses pairs et lui sont passés par tout ce trauma, mais personne ne s’en souciait.”

Il voulait parler de la guerre…
Salle se remémore le fait que son père voulait parfois parler de la guerre, mais étant enfants, Mary et elle n’en portaient pas grand intérêt, quelque chose qu’elle regrette profondément en étant adulte.
“Beaucoup d’hommes ne voulaient pas parler de la guerre, mais Papa le faisait, et nous disions “oh, Papa va encore nous parler de la guerre.” C’est quelque chose que je regrette beaucoup désormais.
“J’y pense souvent. Si seulement nous étions plus âgées et capables de l’écouter… C’est pourquoi c’était vraiment bien d’avoir les registres de guerre et de visiter Te Arawhata et Le Quesnoy. Quand j’étais là-bas, cela m’est apparu, le fait qu’il était comme il était.”
Malgré ses regrets et les challenges causés par la santé mentale de son père, Sally a vécu de nombreux moments heureux avec lui qu’elle chérit.
“Je me souviens quand j’étais à l’université et que je vivais toujours à la maison. Je rentrais, et je pouvais entendre marteler des chansons de guerre au piano depuis la rue. Il a appris lui-même le piano et le martelait tellement bruyamment”, se rappelle-t-elle en gloussant.
