À 92 ans, Clive Morriss se remémore la vie et l’histoire de son père, qui a combattu pendant la Première Guerre mondiale.

Clive Morriss ne peut pas affirmer avec certitude que le portefeuille en cuir dans la poche de poitrine de son père, Fred, a amorti l’impact d’une balle et lui a sauvé la vie pendant la guerre.
« Mais la famille est convaincue que cela a joué un rôle, » raconte Clive. « La balle a traversé l’épais portefeuille en cuir, qui contenait une photo du frère tant aimé de mon père ainsi que d’autres documents, et nous pensons que cela a atténué son impact. »
Les archives militaires montrent que Fred faisait partie des 34e Renforts, du Régiment d’Infanterie d’Otago, Compagnie D, qui faisait partie de la plus grande bataille durant laquelle la New Zealand Rifle Brigade a libéré la ville de Le Quesnoy.
« Il semblerait que la compagnie à laquelle Fred appartenait ait fait 74 prisonniers allemands. C’est au cours de cette action que Fred a été blessé le 4 novembre à 7h30 du matin. Le coup de feu provenait d’un revolver, ce qui signifie que c’était un combat rapproché, dans le brouillard et la fumée de la bataille, » explique Clive.
Fred est évacué vers le 1er hôpital sud-africain d’Abbeville pendant six semaines, puis transféré à l’hôpital néo-zélandais de Walton-on-Thames, en Angleterre, avant d’être démobilisé le 17 janvier 1919.
« La balle n’a jamais été retirée de sa poitrine et est restée là jusqu’à la mort de mon père, le 8 février 1981, à l’âge de 83 ans. »
Quant au portefeuille de Fred, il existe encore aujourd’hui : il appartient désormais à Wayne, son petit-fils. Le frère de Clive, Allan, l’a transformé en portefeuille de pêche pour y ranger des mouches à truite.


Des souvenirs toujours vifs
Clive partage l’histoire de son père depuis le Summerset Retirement Village à Christchurch. Il prend plaisir à partager des faits historiques et des anecdotes sur son père.
En amont et à la suite de notre entretien, il a nous également envoyé plusieurs e-mails contenant des détails précis sur la vie de Fred pendant et après la guerre.
Le caporal suppléant Frederick William Morriss – matricule 64913 – est arrivé à Liverpool le 29 mars 1918 en tant que membre de la brigade de fusiliers néo-zélandais. Huit mois plus tard, il se trouvait au Quesnoy.
« Heureusement, papa n’a combattu sur le Front occidental que pour une courte période, ce qui lui a permis d’éviter la boue et le chaos qu’ont endurés tant de soldats néo-zélandais. »

D’après ses archives militaires, Fred était tireur d’élite et Clive pense qu’il faisait peut-être même partie d’une équipe de mitrailleurs.
« Beaucoup de soldats néo-zélandais venaient de la campagne et pendant leur temps libre, ils chassaient des lapins. Ils étaient donc déjà très habiles avec un fusil, ce qui en faisait de bons soldats. »
En 2012, Clive et son fils Wayne passent une semaine à parcourir le Front occidental, et notamment Le Quesnoy.
« Visiter cette ville était important pour nous car Fred y a été blessé. Wayne et moi avons pu marcher sur les mêmes terres que lui. Nous savons, puisqu’il a été blessé tôt le 4 novembre, qu’il n’a pas pu entrer dans la ville fortifiée du Quesnoy. »
Le Musée Néo-Zélandais de la Libération – Te Arawhata n’avait pas encore ouvert ses portes lors de leur visite. Mais en 2024, Grant, le deuxième fils de Clive, et sa femme se sont rendus au Quesnoy et ont visité le musée.
“Visiting the town was important to us because Fred was wounded there, and Wayne and I were able to walk over the same ground he did. We were aware, because he was wounded early on the 4th of November, that Fred would not have walked inside the walled town of Le Quesnoy.”
The NZ Liberation Museum – Te Arawhata was yet to open at the time of their visit but in 2024, Clive’s second son Grant and his wife visited Le Quesnoy and the museum.

La vie à la ferme
À son retour au pays, Fred travaille comme ouvrier agricole et en 1923, il obtient un bail pour une ferme de 40 hectares à Lyndford, dans le cadre du Discharged Soldiers Settlement Act 1915. Malheureusement, sa première épouse meurt de la tuberculose après seulement un an de mariage.
En 1927, Fred épouse Mary Dell et Clive naît en 1932, suivi de son frère Allan trois ans plus tard.
« Nous avons eu beaucoup de chance dans notre enfance. Je ne crois pas que nous ayons souffert des difficultés que traversaient nos parents. Bien sûr, nous n’étions pas conscients d’à quel point la situation était dure pour eux mais aussi pour une grande partie de la population pendant cette période de crise économique. »
« Pour nos parents, la vie dans cette petite ferme relevait de la simple subsistance. Avec les conditions de remboursement de leur bail, il leur devenait de plus en plus difficile de tenir leurs engagements. »
Face à cette situation, Fred porte son cas devant la justice, qui recommande qu’une autre ferme soit trouvée pour la famille. En septembre 1938, Fred et Mary renoncent à leur ferme de Lyndford et déménagent sur une exploitation de 2 hectares dans la colonie Riverina à Rakaia, au sud de Christchurch.
Ils vendent leur attelage de chevaux et reçoivent un nouveau tracteur. Plus tard, la ferme voisine de 2 hectares devient disponible et Fred en obtient également le bail.
À partir de la fin des années 1940, les revenus agricoles issus du bétail et de la laine s’améliorent considérablement. « Cette prospérité a bénéficié à tout le pays, » explique Clive. « Et Fred a pu devenir propriétaire de la ferme. »
« Après avoir conduit une Overland 1926, mes parents ont acheté une nouvelle voiture Standard en 1949. Ils avaient travaillé dur et étaient heureux là où ils étaient. Cela leur a aussi permis de mener une vie plus confortable et agréable. »

De bons gènes
Les gènes des Morriss ont permis à Clive d’atteindre les 90 ans mais, selon lui, rester actif toute sa vie y a aussi contribué. Il a apprécié son travail de 40 ans dans l’industrie du bétail, suivi de 14 années supplémentaires à temps partiel.
Il a également pu profiter de la pêche, du golf et de la randonnée. Des activités qui, sourit-il, ont toujours été « encouragées par [sa] merveilleuse épouse, Eileen. »
Voyager au Quesnoy a été une expérience marquante. « Je regrette de ne pas avoir beaucoup parlé avec papa de son expérience de la guerre, mais comme la plupart des soldats rentrés au pays, il préférait sans doute oublier. J’ai eu la chance de parcourir le Front occidental. C’était bouleversant de voir des dizaines de milliers de noms gravés sur des mémoriaux et des pierres tombales, ceux de soldats qui ont perdu la vie dans cette guerre. Cela a ravivé ma mémoire et c’est ce genre de choses qui vous maintient en vie. »
Par coïncidence, en 1965, alors que son épouse Eileen est à la maternité St Helen’s Women’s Hospital à Christchurch pour accoucher de Wayne, Clive rencontre le Dr Leslie Averill, premier soldat néo-zélandais à avoir escaladé les murs du Quesnoy avec une échelle.
« Après la guerre, le Dr Averill a eu une brillante carrière médicale et, à l’époque, il était responsable de St Helen’s. Eileen a eu un accouchement difficile et dû être hospitalisée. C’est le Dr Averill lui-même qui est venu me voir dans la salle d’attente pour m’annoncer que l’accouchement s’était fait par forceps et que j’avais un fils. »

Wayne, qui vient de fêter ses 60 ans, a suivi une carrière médicale et est anesthésiste à l’hôpital de Christchurch. Il a également été président de la Fédération Mondiale des Sociétés d’Anesthésiologistes.
Grant, le deuxième fils de Clive et Eileen, travaille pour Landcare Research, un institut de recherche spécialisé dans l’environnement, la biodiversité et la durabilité, en tant que technicien principal en éradication des nuisibles.
« Leur grand-père aurait été très fier de leur parcours. »
L’un des petits-fils de Clive est aujourd’hui dans l’armée. Clive s’est récemment rendu avec sa belle-fille Jacqui au Burnham Military Camp pour assister à la remise des nouvelles couleurs royales et régimentaires aux 2ème et 1er Bataillons du Royal New Zealand Infantry Regiment par le Gouverneur Général.
« C’était un défilé très impressionnant et haut en couleur, » raconte Clive.
L’événement lui a fait repenser à sa propre expérience dans les années 1950, lorsqu’il avait 18 ans et a passé 14 semaines à Burnham, dans le centre de l’Angleterre, pour son service militaire obligatoire.
« Venant d’une ferme où l’on pratiquait beaucoup la chasse et le tir, j’ai vraiment apprécié l’expérience militaire. »
« Tout ce qui m’est arrivé dans la vie », conclut-il, « remonte au fait que mon père a eu la chance de survivre et de rentrer à la maison. »
